Quand l’espace est à peindre, quelle présence proposer au monde ?
Peindre une toile ou tout type de surface, la planche, le mur ou la pièce, revient à couvrir et remplir en même temps. Le blanc initial figure déjà quelque chose, le vide, à ceci près que cela demeure une convention, dont certains peuvent s’en amuser voire s’en contenter. Une toile blanche peut effectivement se suffire à elle-même.
Couvrir suppose la chose cachée et incite au dévoilement. Autre paradoxe, couvrir c’est aussi montrer ce que l’on ne voit pas communément et donc dévoiler ce que l’on ne saurait voir autrement. Mettre un écran entre le vide symbolique et soi par une chose qui y est rapporté intentionnellement et que l’on rappelle à notre connaissance par une figuration, une forme-convention, ou un assemblage de couleurs, de traits et de formes sans signifiant immédiat établit une relation en soi et une pensée, entre soi et une personne qui a pensé. La peinture comme « cosa mentale », toujours.
En ce qui concerne mon travail, j’ai pratiqué le bois non enduit, qui absorbe la chose peinte par embuage, le bois enduit et blanchi et la toile, évidemment. Mais au delà de la surface et du support, que signifie peindre ? Après trente ans de tentatives plus ou moins heureuses, j’en suis venu à considérer que c’est une possibilité millénaire offerte à l’être d’attester d’une présence, le plus souvent la sienne, un autre soi-même dans un espace créé.
Cette tension entre l’espace vide et le sujet, le soi, déterminerait alors la production de gestes, de signes, de figures plus ou moins assignables voire reconnaissables. L’esthétique sinon le style résulterait alors d’une perception compréhensive de cette « mise en œuvre » de ce projet sans cesse recommencé.
Mais qui dit présence annonce la représentation, dit autrement le simulacre de sa réalité. L’anthropologue évoquera le prototype d’une entité investie dans l’objet d’art qui trouve là un véhicule, là et dans d’autres. Depuis Nadar et sa quête d’objectivité dans les plaques argentiques, le prototype est devenu le film puis le fichier original. Les peintres ont pu alors s’affranchir des rappels à la réalité et explorer d’autres figurations, hors champ et comme en apesanteur. Mais que devient le sens lorsque le peintre n’illustre plus ? Une forme générative, autonome, pour elle même, l’artefact en soi, dont le sens mute selon celui qui l’interprète du regard. Les abstractions géométriques ou lyriques se sont alors situées sur les rives opposées de la subjectivité, de part et d’autre de l’émotion contenue.
Peindre demeure un acte concret, aux limites de l’indicible. Cela souligne l’importance du choix du médium, la matière picturale elle même. L’huile garde ma préférence. Pas seulement pour sa sensualité, son odeur, sa viscosité. Pour ce qu’elle raconte. L’huile ne sèche pas, elle durcit. L’huile retire un peu d’oxygène au monde pour se lier à son support et fixer son image. Rien d’innocent, donc, dans cette transmutation qui traduit là une vie propre, un passage du fluide au minéral originel, substance autonome une fois appliquée par la main. Le témoignage d’une affirmation, aussi.