A une époque où l'on ne compte plus les idoles déboulonnées, il est convenu de ne plus se chercher de maîtres, et encore moins dans l'art. Seule la valeur vénale, aune du désir médiatisé, fait jugement. David Hockney, pourtant, par la rigueur de sa démarche et la qualité plastique de ses "images", éclaire vivement l'époque actuelle. Il est est l'auteur d'une œuvre immense, qu'il place à la suite d'une lignée prestigieuse qui trouve son origine au Quattrocento. Il va jusqu'à inverser la convention sur la perspective. Et proposer la sienne. Un projet pour le temps présent ?
Bien qu'il en soit contemporain, Hockney n'est pas pop. Réaliste, il rend compte du visible pour en traduire l'interaction avec nous, les acteurs d'une comédie humaine souvent dérisoire. Ses portraits, précis et engagés, disent ses proches dans toute leur profondeur psychologique. Ils racontent aussi l'intrigue qui les lient à leur contexte social, amoureux, érotique. Ses paysages questionnent l'espace et la durée dans un vertige statique, d'où finissent par s'absenter toute humanité. Hormis celui qui regarde. A moins que ces objets de peinture ne prennent leur autonomie et nous contemplent à leur tour. Nous serions alors le point de fuite d'une nature que nous prétendons dompter mais qui nous échappe dans un récit toujours incomplet. Cette réalité pensée et construite avec patience, il la sédimente avec lenteur, déposant ses temporalités vécues comme autant de couches aux perspectives juxtaposées sinon entremêlées. Une peinture éminemment réflexive, donc.
Exposition David Hockney, Centre Pompidou, Paris, Septembre 2017
Héritier érudit, Hockney frôle le cubisme et lui donne des teintes presque fauves. Il compose des situations inspirées des peintures religieuses du début de la Renaissance comme autant d'Annonciations d'un monde à venir auprès d'une société qui n'entend rien. Lui, le peintre qui décore les opéras devient sourd mais entend toujours la bande son d'un film qui ne s'arrête jamais, cette chanson de geste pour conquérants fantasmatiques qui roulent éberlués au pied des collines de Los Angeles. Il peint des cuves remplies d'eau, nous y voyons des piscines. Il peint des trous immenses et sans fond, nous croyons y voir le Grand Canyon. Sortie d'une camera obscura, sa peinture savante engloutit tout, avec malice, jouant des vraisemblances et des géométries univoques, déplaçant le sens d'une lumière posée comme en rêve, d'une couleur à l'accent d'une tromperie, le monde connu est une illusion sans fin et sans but. Reprenant les polyptyques, il déconstruit les moments de déjà vu, feuilletant nos mémoires sensibles pour mieux nous amener à affronter notre propre réalité, cette humanité produite dans ces images-temps accumulées comme dans une fosse commune. Le projet Hockney serait peut-être de tenir à distance la mélancolie, peindre les saisons qui passent pour résister à la disparition. Et à l'oubli.
Exposition David Hockney, Centre Pompidou, Paris, Septembre 2017
Références :
David Hockney, "Images", Thames & Hudson, Londres 2016.
David Hockney et Martin Gayford, "A History of Pictures", Thames & Hudson, London 2016, "Une Histoire des Images", Trad. Pierre Saint-Jean, Solar Editions, Paris 2016.
Monique Lajournade et Pierre Saint-Jean, "David Hockney in perspective", Vidéo Mirage Illimité, Paris 2012.
Michael Trabitzsch, "David Hockney, le temps retrouvé", Les films du paradoxe, 2017.