Il est un peintre disparu depuis peu qui connait enfin la reconnaissance de l’institution Sam Szafran est exposé à Paris à l’Orangerie et c’est une excellente chose. Nous y voyons là une œuvre qui se déploie en grand, loin des galeries compassées qui avaient pu en faire un élément de décor bourgeois. Devant la profusion des images qui ne peuvent se traverser et dont on ne s’échappe pas, il vient comme un doute. Ce qui semble si accessible et si réel dans sa figuration es-il vraiment ce que l’on voit ? Examen et recension.
Les thèmes sont épuisés sur de longues séquences, l’atelier, l’escalier, le feuillage se présentent en séries nombreuses qui toutes témoignent d’une grande virtuosité dans leur composition et les techniques utilisées. Le fusain, le pastel et l’aquarelle se partagent un festin de dessin. La présentation de la commissaire d’exposition, Julia Drost, parle des obsessions d’un peintre. Ah. ainsi approfondir une recherche, s’y tenir jusqu’à que ce que l’on y poursuit laisse entrevoir de manière tangible la substance espérée attesterait d’un désordre mental ? Un peu court et réducteur. Sam Szafran, dont le nom même est une allitération, admirait Edgar Degas, le peintre des répétitions, des lignes de fuites incurvées et des horizons bouchés. Szafran modifie l’espace, le sature et l’obture, le tord parfois, nous livre l’espace qui se recompose dans notre mémoires, traversées de perceptions diffractées et différées. Dans ces rhizomes de philodendrons, il peint patiemment le temps neuronal, le déplacement immobile, l’expérience asynchrone, la persistance vécue. Il va aussi suspendre un tub improbable, pour dire l’artifice et clore l’écoulement, sinon l’inverser, dans une grande rétention. Oui, le tub, cette baignoire sans bonde, ce bassin des refoulements, ce sens unique de la vie bourgeoise. Je ne saurai dire s’il est le peintre de l’enfermement, quand certains citent “La Cache” de Boltanski, mais plutôt de la torsion entre regard et mémoire dans ses escaliers, quand il use de polaroïds, comme Hockney, pour fabriquer une perspective joueuse qui tente de “fuir” la convention des modernes; De l’empilement et de l’envahissement des choses, dans un espace réifié à l’extrême, dans une science de l’encombrement, entre poutraisons et rayonnages enchevêtrés par ceux qui tentent de remédier au grand dérangement du monde, vanité de la technique savante. Ainsi les pastels se démultiplient, dans des alignements industriels mais incalculables, s’accumulent tels les papiers et les cadres d’une imprimerie de lithographies, où tout est insolé et recommencé, cadencé et segmenté, comme pour répondre à Degas par dessus Walter Benjamin en investissant le lieu même de la reproduction, des objets, des images, des codes et des conventions. Alors survient cette anti-nature, ce végétal domestiqué sous serre peut alors finir de recouvrir l’espace, ramification et intrication infiniment, qui là s’absente déjà dans une figuration monochrome bleue, saisie par le tracé de l’ingénieur ou du cartonnier pour papier peint.
Ce qui ne lasse pas de surprendre est la complexité qui s’exprime ici, et le soin que l’artiste lui porte, dans une reconstruction plausible et élégante de notre réalité. Il prend les “choses” les plus immédiates pour leur donner une existence propre, comme si elles s’affranchissaient de nous, autonomes et débordent de matérialité. Les figures humaines semblent d’ailleurs totalement incongrues, enserrées, ne sachant où se situer, dans ces perspectives, comme aplaties et sans vie. Degas et non Matisse, donc. Mais un grand Monsieur, si singulier et cependant si proche.
“Sam Szafran, Obsessions d’un peintre”, Musée de l’Orangerie, Paris, du 28 septembre 2022 au 16 janvier 2023.
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